Toute ma vie j’ai espéré devenir écrivain. Premièrement parce que ce métier évoque pour moi, une personne installée dans un coin de bureau, une table de café, un banc dans un parc. Cette personne tranquille devant son papier ou devant l’ordinateur « mais ça pour moi c’est plus difficile à imaginer car j’aime aussi écrire pour écrire avec un stylo ».
Mieux encore j’aurais préféré me lancer dans les pleins et les déliés d’une belle plume, le mouvement de chaque lettre formée m’entraînant dans une nouvelle aventure.
Secondo, j’ai un vieux souvenir « magnifique » un moment de surprise, un moment qui se loge au fond de votre cœur pour la vie, qui ne fait pas sauter de joie, non, mais c’est plutôt un sentiment qui s’installe, qui s’étale avec quand même une certaine retenue et vous procure une sensation de quelque chose d’accompli.
Un jour ma mère me fit préparer, me dit de mettre mes plus beaux habits et ensuite de la rejoindre car nous allions sortir. Je me dépêchai d’exécuter les ordres car avec ma mère il n’était pas question de tergiverser. J’enfilai donc ma petite jupe plissée bleu-marine, mon chemisier blanc, mes chaussettes blanches, que je tirai le plus possible vers le haut avant que ce soit ma mère qui le fasse, car cette opération était pour moi une torture, car elle remontait toujours mes chaussettes « qui étaient serrées à un point qu’on aurait dit des bas de contention » en retournant ses doigts « longs et pleins d’os » à l’intérieur de mes chevilles. J’ai toujours eu l’impression qu’elle faisait ça pour me punir d’une faute dont je n’avais pas moi-même le moindre soupçon. Je sautai dans mes chaussures vernies très belles et très neuves.Une fois prête je rejoignais ma mère qui s’occupait de ma coiffure. Encore un mauvais moment à passer.
A son habitude, elle me tira les cheveux en queue de cheval, et le verbe tirer n’est pas inapproprié, car une fois l’élastique enfin enfilé, j’avais l’impression d’avoir subi un lifting. En effet ma peau était tellement tendue sur les côtés du visage que je me demandais si j’allais pouvoir désormais articuler un seul mot. Moi qui avait de si beaux cheveux avec des boucles naturelles et qui aimait tellement quand mes anglaises virevoltaient autour de moi, j’en étais malade.
Enfin j’étais prête et ainsi blanche comme une morte, car mon sang ne circulait plus du tout dans mes veines, mes belles chaussures vernies faisant office de chaussures de ski, nous descendîmes les trois étages de notre immeuble, puis main dans la main nous arpentâmes les rues de Lourdes.
Ma mère me serrait la main comme si j’étais un ballon de baudruche qui menaçait de s’envoler. Sans un mot nous avancions, dans ma petite tête les pensées se bousculaient. La tenue du dimanche un samedi ? Où va-t-on ? Du haut de mes huit ans je pensais, quelque chose d’exceptionnel, mais quoi ? Bon ou mauvais ?
Nous passâmes par le jardin public pour se diriger vers un bâtiment que j’ai toujours admiré car il me faisait penser à un palais. Et voila que ma mère m’entraînait dans les marches du palais. Allions-nous rencontrer un roi, une reine ? Elle s’arrêta devant une immense double-porte en bois travaillé et tout en m’intimant le silence elle entra sans frapper en me traînant derrière elle. Sur le coup je me suis dit qu’elle exagérait de rentrer comme ça, comme si elle était chez elle.
Je fus interloquée à la vue de cette immense salle, absolument incroyable car je n’avais jamais rien vu de pareil. Il y avait des étagères jusqu’en haut et toutes couvertes de livres. Un labyrinthe d’étagères, des livres partout, biens rangés, bien alignés.
Cette pièce sentait bon le papier, le cuir. Ma mère me fit faire le tour de ce dédale, passer dans toutes les rangées. Je n’en croyais pas mes yeux, ils devaient être écarquillés au point d’en éclater. Elle me dit : « tous ces livres ont été écrits par différents auteurs et pour des adultes ». Puis au détour d’une rangée « voici les livres pour les enfants ». Et maintenant me dit-elle en ouvrant son sac « voilà, je t’offre une carte qui te permettra de choisir trois livres qui te feront plaisir. Tu les liras à la maison et plus tard tu viendras en choisir trois autres ».
J’en eu le souffle coupé. A moi, il allait m’être permis de choisir des livres sur ces étagères. C’était un honneur immense. L’émotion m’envahit et je crois que j’ai même remercié ma mère.
Ce fut pour moi l’un des plus beaux cadeaux de ma vie que cette carte pour cette immense bibliothèque. Il me fallut un temps infini pour choisir mes trois premiers livres dans la bibliothèque rose, et je crois me souvenir que mon tout premier avait pour titre « Oui-Oui et l’éléphant bleu » d’Enid Blyton.
Dans les années qui ont suivi, j’ai dévoré les rayons les uns après les autres.